« La petite fille est une guerrière, elle joue à ce qu'il ne faut pas faire. Contre les dragons, elle frappe les yeux fermés, avec son sabre attaque les cavaliers. Sur un cheval en Mandchourie, c'est dans la plaine qu'elle y sévit. »
c. grumpy crumpet&indochine

1989 - 2004
Kovel', Ukraine

Vous ne connaissez pas ? Heureusement pour vous et la chose en elle-même n'est pas bien étonnante, je vous avouerais. C'est pourtant là que je suis née, comme des millions de personnes avant moi, comme des millions encore après moi, sans doute. Fille du milieu dans une famille de cinq enfants, je suis sans doute la plus délaissée, l'aînée est certes une fille, mais elle a le mérite d'être la plus âgée, tout comme la plus petite... les deux autres étant des garçons, ils sont les plus chouchoutés de la fratrie. Comment traduire mon enfance par un quelconque autre terme que "insipide" ? Un début de vie qui ne fait sans doute qu'alimenter des rêves on ne peut plus fous... et pourtant, j'y crois dur comme fer, entre mes cinq et douze premières années, pas plus... après les choses se compliquent un petit peu... on commence à devenir plus raisonnable - ou du moins, les responsabilités nous obligent à l'être. Et voilà que les germes de rêves s'envolent. Depuis que je suis gamine, on m'a toujours appris à ne pas avoir de grandes ambitions, ce n'est pas vraiment adapté à notre mode de vie m'a-t-on dit. Mon père était bien loin d'être le grand directeur de la société Kovelselmach... je n'ai d'ailleurs jamais essayé de voir s'il avait des notions en quoique ce soit concernant les machines et nouvelles technologies... même pour l'agriculture ! Je suis née en 1989, alors que le bloc communiste dirigé par l'URSS s'effondrait peu à peu, laissant les "républiques populaires" dans une pauvreté sans précédent... merci Staline et ses idées de faire de l'URSS une puissance plus militaire qu'autre chose. Avec déjà deux bouches à nourrir, mes parents m'ont toujours délaissée... ce qui m'a sans doute poussée plus tard à vouloir mettre mon grain de sel partout, à être exigeante envers ceux qui avaient le moyen de me donner ce que je voulais, qui sait, moi-même parfois - souvent même - je ne suis pas capable de me comprendre. J'ai grandi sans le moindre enseignement jusqu'à mes dix ans, apprenant juste auprès de mes aînés, de mes parents parfois - bien que ma mère ne sache ni lire, ni écrire - je parlais russe et ukrainien, point barre... c'était largement suffisant pour la petite vie sans intérêt qu'on me destinait à mener. A dix ans, je rentre donc à l'école... ou du moins, dans une semi institution sur laquelle est écrit en alphabet cyrillique le mot "école". Certes, j'avais appris à lire avec ma sœur aînée, mais l'école ne put que préciser encore ce savoir, une chose que je ne néglige pas, bien qu'aujourd'hui, écrire en russe ou en ukrainien ne soit plus vraiment dans mes habitudes.

2004 - 2008
Kovel' puis Kiev, Ukraine

Six ans après, je quitte l'école, avec mon savoir précaire, quelques notions d'écriture, d'histoire, de russe et même de français. J'ai été chanceuse, ou pas, qui sait. J'ai seize ans et quelques mois vers mon dix-septième anniversaire et me voilà de retour au milieu de la famille, sans aucune utilité de ce que j'avais appris, si ce n'est lire les courriers que pouvait recevoir la famille et expliquer quelques bases à mes parents qui définitivement, eux, n'avaient aucune notion de la vie telle qu'elle était devenue. Mon père meurt d'un arrêt cardiaque quelques mois après ma sortie de l'école, un choc pour toute la famille, alors que les charges de la vie semblent alors reposer sur d'autres épaules, celles de chacun des membres de la fratrie Vilena. Détruit par la mort de mon père, mon frère aîné quitte le foyer familial, sans plus donner le moindre signe de vie depuis... une nouvelle épreuve pour la famille de moins en moins soudée que nous constituons. Je deviens alors serveuse dans un bar de Kovel', ramenant un peu d'argent à tous les rapiats qui ne semblent, eux, pas décidés à bosser ou à faire quoique ce soit pour ramener la moindre monnaie à la maison. La plus petite sœur de la famille ne connaîtra jamais l'école... et ma mère finira elle-aussi par être fauchée par la vie : elle tombera malade quelques mois après mes dix-neuf ans. En stop et avec l'argent que je me suis gardée de mon boulot, je quitte à mon tour Kovel', prenant la même décision que mon frère aîné : abandonner la famille, les laisser à leur sort, alors qu'il me semble avoir déjà trop trimé pour eux. Je rejoins Kiev, la capitale du pays sans réel autre but que de fuir sans laisser aucune trace derrière moi. C'est l'hiver de mes dix-neuf ans, et cette année là, il se décide à être particulièrement rude. J'ai eu la chance de me trouver un boulot, des plus simples mais encore une fois, à croire que je ne cherche pas bien loin... J'ai toujours été une fille discrète, qui n'a jamais appris à se pousser pour atteindre quoique ce soit, et ce n'est sans doute pas maintenant, après vingt ans de vie ainsi, que je vais pouvoir changer quoique ce soit. Qui peut vraiment savoir ce qui m'a amenée à croiser un chemin bien particulier, celui d'un avenir quelconque, hors de mon Ukraine natale, qui plus est... en France, dans un pays que jamais dans mes plus grands rêves je n'aurais escompté fouler... un souci de rester prisonnière de l'influence communiste, qui sait, moi qui n'ai pourtant pas eu l'occasion de connaître le régime qui sévissait il y a encore peu de temps en Europe même.

2009 - 2010
Paris, France

La Tour Eiffel qu'ils l'appellent... l'Arc de Triomphe, érigé en mémoire des victoires de Napoléon, un grand empereur français. Des centaines de choses à découvrir, le Louvre, l'Opéra, l'Académie française, des institutions alignées dont le fonctionnement m'est totalement étranger. C'est à Kiev que j'ai rencontré Gabriel - comme l'Ange, oui - allez savoir pourquoi... mais j'ai tout de suite eu confiance en lui, à ma bénédiction ou à mon plus grand malheur, qui saurait encore le dire. Toujours est-il qu'à l'avoir suivi, je me retrouve en France et qui plus est, avec une proposition de travail qu'il dit plus rentable et "adapté à moi" que ce que je faisais dans la capitale ukrainienne. Aveuglée par la confiance ? Peut-être... vous me trouvez naïve ? Non, moi je me trouve avide... un côté de moi que je ne connaissais pas et qu'il a su faire naître en moi... par ses paroles, par ses propositions, j'ai été tentée d'en savoir plus, d'en avoir plus encore. Est-il mon sauveur, là où ma vie n'a toujours été que simplicité et trou de désespoir sans fond ? J'aime à le croire, tout européen plein de promesses est présenté comme le messie aux yeux de toutes les filles comme moi, pauvres, paumées au milieu d'une société en déclin et pourtant désireuses d'avoir plus encore. Peut-être que j'aurais du rester à Kovel' avec ma mère, rien que par respect pour ce qu'elle a longtemps fait pour moi... et pourtant, la fuite semblait plus facile, plus plaisante... Bien qu'en France je me retrouve tout autant paumée... je me rends bel et bien compte que mes connaissances en français obtenues pendant mon "cursus scolaire" sont des plus primaires... un "bonjour" et quelques mois baragouinés, en bref, un vocabulaire bien peu développé. Arrivée en ville, je ne sais pas vraiment sur quoi repose le fameux "contrat" que j'ai accepté de venir signer ici, avec Gabriel. Et pourtant... cette question ne me taraude pas... j'ai confiance en lui, aussi fou que l'idée puisse vous paraître à vous, personnes totalement clairvoyantes qui n'avez pas eu à faire face à un tel personnage. D'ailleurs aujourd'hui encore, alors que je suis l'un des principaux objets d'un trafic sordide, je n'arrive même pas encore à faire la part des choses pour savoir si c'est un cadeau qu'il m'a fait, ou s'il a empoisonné ma vie toute entière. Mais de toute évidence, toute vie semble plus belle à prendre qu'une vie de pauvre ukrainienne paumée en plein milieu d'un bled comme Kovel' avec une famille on ne peut plus infectée par le malheur.