Cooper. Un nom à la consonance plus british ou américaine que française, et pour cause.
Née d'une mère française et d'un père américain, Aryanna a pourtant toujours vécu en France. Lorsqu'elle était adolescente, elle se plaisait parfois à se faire passer pour une américaine, ce qui ne manquait jamais de réussir à la vue de son accent presque parfait. Il faut reconnaître que l'anglais soit sa seconde langue maternelle aidait bien. Comme quoi son père était capable de faire quelque chose de bien entre deux beuveries...

Son père... venons-y justement. Un être perdu depuis toujours, qui ne trouva qu'une brève lumière en son épouse et aucune en sa propre fille.
Un être qui n'était pourtant pas dénué de charisme ni d'intelligence, mais qui sombra malgré ce terrain avantageux dans l'absurdité qu'est la dépendance à l'alcool. Quand cela a-t-il commencé ? Arya serait bien en peine de vous le dire, ses souvenirs les plus lointains étant déjà bercés par les vapeurs nauséabondes et toxiques de liqueurs diverses.
Le même schéma sinistre se reproduisait à chaque fois qu'il rentrait un peu trop ivre. Des cris qui se muaient rapidement en hurlements stridents que poussait sa tendre mère sous la pluie de coups quotidienne. A chaque fois la jeune enfant s'interposait et à chaque fois elle payait chèrement son audace. Quel mal y a-t-il à vouloir protéger sa propre mère... Aucun, vous en conviendrez.
Mais son père était bien loin d'envisager les choses sous cet angle. Etait-il seulement capable d'envisager quoi que cela soit dans ces moments là ? Le doute n'était plus permis, il était tout bonnement incapable de s'adonner à autre chose que la violence.

Alors lorsqu'on évolue, lorsqu'on grandit dans une atmosphère pesante, un environnement si peu sécuritaire, baigné par la peur qu'un jour tout tourne définitivement très mal, comment se peut-il que dans ces conditions un enfant soit épanoui...
Deux perspectives d'avenir se présentent à lui. Soit il devient un pleutre rongé par l'appréhension et la couardise, renonçant à tout, ne convoitant rien. Soit il se mue en un être mordant qui écrase tout sur son passage avec une froideur calculée. C'est cette seconde option que choisit Arya.
Et cela elle le doit à son père. Peut être la seule chose qu'il lui a enseigné en dehors de son anglais parfait.

Dix-sept ans cela se fête ! Pour n'importe qui mais pas pour Arya. Ce simple événement pourtant essentiel dans la vie d'une jeune fille lui fut lui aussi retiré. Il est tard, elle rentre à peine des cours de piano qu'elle prend depuis quelques années auprès d'un professeur sévère mais juste.
L'appartement qu'ils possèdent dans le quartier du Marais est étonnamment sombre. Arya jette un bref coup d'oeil à sa montre, 20h.
Normalement à cette heure là sa mère devrait être en train de s'affairer derrière les fourneaux, lui ayant certainement préparé un succulent dîner d'anniversaire qui resterait dans les annales, comme les autres, pour peu que son paternel ne vienne pas tout gâcher comme d'habitude.
La jeune femme à l'ample chevelure brune insère la clef dans la serrure mais stoppe son geste avant d'en faire pivoter les gongs. Pas un bruit, tout est trop calme. Soudainement ses paupières s'écarquillent et un juron puissant s'échappe de ses lèvres tandis qu'elle pousse la porte à la volée. Elle court comme jamais elle n'a couru auparavant, traversant toutes les pièces comme une étoile filante à la recherche de ce qu'elle espère surtout ne pas trouver. L'espoir est vain, le couperet s'abat sur son coeur au moment même où elle pénètre dans la chambre de ses parents.
Le corps inerte de sa mère baigne dans un sang noirâtre infecte. Elle ne bouge plus. En proie à une panique palpable, la jeune femme tombe à genoux près du corps ensanglanté, des larmes de rage et de tristesse dévalant ses joues hâlées.
Un sursaut. Non... impossible... Serait-elle encore vivante ? Sans chercher à comprendre Arya saisit son téléphone portable et appelle les secours. Nom, rue, étage. Ils seront là dans moins de 15 minutes. 15 minutes... temps suffisamment conséquent pour qu'elle se rende au bureau de son père qui se trouve à deux rues d'ici et qu'elle en revienne comme si de rien était. Mais cela impliquerait de laisser sa mère seule ici, dans cet état là...
Mais n'écoutant que sa colère, Arya se lève d'un bond et se précipite de nouveau mais cette fois en sens inverse.

La porte du bureau s'ouvre avec violence en suivant l'impulsion du pied féminin qui vient de le percuter avec rage. Un bon poivrot qu'il est, son père ronfle à moitié sur sa table de travail. Le bruit semble l'avoir légèrement tiré de sa léthargie et c'est un visage bouffi qu'il relève vers sa fille.
Pistolet en main, son propre pistolet qu'elle lui avait subtilisé depuis quelques semaines par peur qu'un jour funeste comme celui-ci n'arrive, son bras s'élève vers la voûte austère du plafond gris, cible et tire avec une froideur calculée. Il n'aura pas eu le temps de faire autre chose que des yeux exorbités face à la sentence suprême que vient de rendre son propre enfant. Il n'a rien pu dire, et nul besoin ne s'en était fait ressentir de toutes façons. Elle n'a pas le temps de réaliser ce qu'elle vient de faire, la culpabilité et le déshonneur d'un tel acte pèseront cependant sur sa conscience durant le reste de sa vie, la police se retrouvant incapable de prouver quoi que ce soit.

Les années ont passé. Son père n'était plus, sa mère avait gardé de très sévères séquelles de cette ultime altercation l'opposant à son époux et finirait ses jours en fauteuil roulant malgré l'application des médecins. Alors Aryanna n'eut d'autre choix que de quitter le lycée et de travailler.
Le problème résidait dans la nature du travail en question. Hors de question de se rabaisser de quelques manières que cela soit. Un travail légal et bien payé serait le mieux, mais encore fallait-il le trouver. Alors elle enchaîna les petits boulots durant quelques années. A peine de quoi vivre mais cela était nécessaire. Son orgueil se devait d'être mis entre parenthèse.
Par chance la demoiselle était assez jolie et les formes de son corps n'avaient certes rien à envier à la jeunesse dorée parisienne qui dépensait la majeure partie de son temps et de son argent dans des instituts de beauté de grand luxe. C'est ainsi qu'elle se fit remarquer, comme nombre d'autres jeunes mannequins, un soir en boîte de nuit. Une très célèbre agence la prit sous son aile durant cinq ans.
Cinq années au cours desquelles elle oscillait entre Paris, Londres, Milan, New-York, Tokyo et bien d'autres capitales bourdonnantes de mode et de fashionistas. Au sommet de sa gloire, alors qu'elle était depuis un an l'égérie de la très célèbre marque de haute-couture Chanel, la lassitude s'installait déjà.

Le monde de la mode est un terrain impitoyable, scène de théâtre des pièces les plus abjectes, les plus dures, les plus rabaissantes. Lundi vous êtes adulée par le monde entier, mardi vous ne valez plus rien. Tel est le cercle fermé de la haute-couture, des parfums et maquillages, de tout ce qui approche de près ou de loin le luxe.
Il était hors de question qu'Arya se laisse oublier de la sorte. Son tempérament froid et calculateur lui avait évité bien des pièges. Néanmoins elle n'était pas dupe. Autant changer d'horizon tant qu'elle était encore connue et que son nom avait du poids autant que du crédit. Qui plus est obéir sagement aux ordres et consignes n'avaient jamais été sa tasse de thé. Il était grand temps de renverser la vapeur.
C'est ainsi qu'elle quitta l'agence de mode pour créer la sienne. Son bébé, comme elle l'appelle encore aujourd'hui, est le bien le plus précieux qu'elle possède. Un joyaux dans un écrin de pouvoir. Car si Hell of Fashion grimpa très vite et très fort dès sa création, l'agence devait rester au top du top en toutes occasions.
A l'heure actuelle elle fait partie des trois meilleures mondiales et est internationalement reconnue par les plus grands. Mais ce n'est pas assez pour Arya qui ne sera satisfaite que lorsque son Agence détrônera définitivement toutes les autres, ce qu'elle compte bien réaliser en temps venus.

Reste un aspect à aborder pour que le tableau soit complet : Vanilla.
Un nouveau club qui a fait très vite parler de lui dans les plus hautes sphères. Tant et si bien que ce nom arriva aux oreilles d'Arya pendant un défilé de la très célèbre Fashion Week. Assise au premier rang, c'est avec une fierté non dissimulée qu'elle observait d'un oeil aguerri ses propres mannequins défilant avec grâce sur le plateau scénique du grand créateur japonais Gucci. Une non moins célèbre (et venimeuse) journaliste de mode était assise près d'elle et se pencha en murmurant à son oreille.

- Vanilla club... vous en avez entendu parler ? Vous devriez aller y faire un tour. Ce que vous y verrez vous intéressera peut être.

Arya hocha vaguement le visage, peu intéressée par le énième club ouvrant ses portes à Paris et qui ne manquerait sûrement pas de les refermer une quinzaine plus tard. C'est peut être justement le fait que ça ne soit pas le cas qui l'intrigua et la poussa à aller voir d'elle même voir de quoi il retournait. C'est donc avec quelques amies du monde de la mode qu'elle réserva une table un samedi soir.
L'avantage lorsque l'on est connu, c'est que toutes les portes, même les plus fermées, s'ouvrent à vous dès que vous dévoilez votre nom. Or si le club était complet ce soir là, il faut croire qu'ils firent un petit effort.
Alors effectivement le décor était de goût, les filles qui dansaient étaient toutes superbes, mais ce qui l'interpella plus qu'autre chose ce fut un bel homme attablé à l'écart. Ceci étant les beaux gars ça court les rues, enfin peut être pas de cette qualité là tout de même...

- C'est Sergueï Ivanovitch, mon collaborateur. Dit une voix féline et masculine dans son dos.

Détestant être interpellée, épiée de la sorte, la brune tourna un regard acéré sur l'auteur de ces mots qui s'empressa de lever les mains en l'air d'un air ironique mais qui avait probablement pour but de dédramatiser la situation.
Arya poussa un soupire non dissimulé à l'égard de cet homme grossier et se détourna sans plus d'ambages comme s'il n'avait jamais existé.

- Voudriez-vous me suivre dans un salon privé ? J'ai une affaire à vous proposer. Ajouta-t-il de sa voix toujours aussi mordorée en basculant son visage de côté pour se retrouver de nouveau en face de la brune.

Arya leva un sourcil, perplexe, mais le suivit malgré ses doutes. Il convenait toujours d'entendre une proposition. Après libre à chacun de l'accepter ou de la refuser. Après tout les choses allaient peut être se révéler intéressantes... et c'est ce qu'elles furent.
Tout d'abord assez peu enclin à mouiller dans ses petites affaires de prostitutions, Arya y trouva néanmoins vite son compte. Le marché fut clair dès le départ entre ces deux là. Elle lui fournirait des filles sur le déclin ou n'ayant jamais vraiment décollé dans la mode pour son petit trafic sexuel et à chaque nana elle toucherait une jolie somme. Bien évidemment Arya fut extrêmement claire sur un point : elle ne voulait rien savoir de ce qu'il se tramerait une fois qu'il aurait récupéré une fille. Arya s'arrangeait pour que celle-ci soit d'accord, par vice naturel ou parce qu'elle aurait été convaincue, et il s'en démerdait. Le deal était conclus. Néanmoins rien n'étant signé, forcément lorsqu'il s'agit d'affaires illégales puisque la prostitution est prohibée en France, la directrice de l'agence restait sur ses gardes et surveillait de près les petits manèges incessants qui s'articulaient autour de ce club.
Aryanna se retrouvait donc associée officieuse du Vanilla Club. Officiellement elle n'était qu'une VIP de plus et avait ses entrées quand elle le souhaitait.

Cet homme, Gabriel Marchand, lui lâcha d'une manière extrêmement légère que Sergueï, le fameux brun au sourire angélique, aurait surement pas mal de contacts avec elle par rapport à leurs affaires. Chose dont Arya ne se plaint pas vraiment, surtout lorsqu'elle appris à le connaître.
Vous voyez cette espèce de pulsion dévastatrice qui vous submerge lorsque vous avez envie de quelque chose ? Ce désir fou de posséder tout de suite, maintenant et à n'importe quel prix le fruit de votre plus ardente envie ? C'est un peu comme cela qu'Arya envisageait Sergueï.
Mais ce genre de poisson demande de la patience... car pour ce qu'elle en a appris jusqu'à aujourd'hui, le terme coureur de jupons est encore trop mince pour le qualifier. Arya a confiance en son potentiel. Il fera comme les autres, il tombera, tôt... ou tard...